J.O. 66 du 19 mars 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 février 2002 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-467 DC


NOR : CSCL0306368X




LOI POUR LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE


Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi pour la sécurité intérieure telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 3, 11, 12, 13, 21 à 25, 28, 30, 50, 51, 53, 64, 65, 75, 96, 113, 122, 123, 141 et 142.


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A titre liminaire, et afin d'éviter toute mauvaise compréhension de la présente saisine, ses auteurs entendent rappeler leur attachement républicain au droit à la sécurité pour tous et au maintien de l'ordre public comme un des éléments d'une société garantissant le respect de l'autre. Pourtant, l'Etat de droit ne peut, et ne doit, se satisfaire de dispositions dont la rédaction et les possibilités de mise en oeuvre sont, à l'évidence, de nature à porter atteinte, en soi ou de façon disproportionnée, aux droits et libertés constitutionnellement protégés. Qu'il en va de même de la détermination des sanctions applicables qui doivent être proportionnées à l'infraction commise et dont le prononcé doit être entouré de l'ensemble des droits appartenant à chaque individu, quelle que soit son origine ou sa condition sociale. Dans certains cas, en outre, c'est l'ordre public qui risque d'être atteint par les effets pervers inscrits au coeur même de certaines des mesures critiquées.

Il est acquis que le texte en cause rompt, en de multiples occasions, l'équilibre constitutionnellement établi et dont vous assurez la protection au terme de votre jurisprudence.


I. - Sur l'article 3 de la loi


Cet article , introduisant un nouveau 4° à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, accorde au préfet, en cas d'urgence et lorsque l'atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige, et qu'il s'y trouve contraint par l'insuffisance des moyens dont il dispose, le pouvoir de prendre des mesures de réquisition et de prescrire « toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ».

En conséquence de ce nouveau pouvoir exorbitant du droit commun, peuvent être prononcées des astreintes par le tribunal administratif à l'encontre de ceux qui ne défèrent pas volontairement à l'ordre préfectoral et, parallèlement, des peines d'emprisonnement et d'amendes pour ceux qui refusent d'exécuter.

De telles dispositions, trop larges et imprécises au regard des risques pour les droits et libertés, méconnaissent tant les articles 34 et 66 de la Constitution que l'article 8 de la Déclaration de 1789.

I-1. En ce qui concerne les articles 34 et 66 de la Constitution :

Il est de jurisprudence constante qu'en matière de libertés publiques, il revient au législateur d'épuiser sa compétence pour garantir celles-ci pleinement. Il en va ainsi dans les domaines les plus variés (décision no 96-378 DC du 23 juillet 1996). C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de préserver la mission constitutionnellement confiée à l'autorité judiciaire. Concernant particulièrement les compétences de police du préfet, vous avez pris soin d'encadrer toute dévolution de pouvoirs à son bénéfice hors le rôle de l'autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles (en particulier : décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995).

Conformément à cette logique, vous avez donc censuré de nouveaux pouvoirs accordés à l'autorité préfectorale dans le cadre de la réglementation des manifestations soit qu'ils résultaient d'une formulation générale et imprécise, soit qu'ils avaient été accordés en violation de l'article 66 de la Constitution (décision précitée, considérants 18 et 20 en particulier).

En l'espèce, il s'avère que les conditions de mise en oeuvre de ce nouveau pouvoir manquent singulièrement de précision.


Certes, on doit considérer que les pouvoirs dont il s'agit s'exerceront dans le cadre de la police administrative et viseront des circonstances exceptionnelles. Il n'en demeure pas moins que la légalité, pour devenir plus élastique dans de telles situations, ne disparaît pas pour autant. Il s'ensuit que le législateur doit encadrer au plus près la dévolution et l'exercice de telles compétences dérogatoires au droit commun et porteuses de risques pour les libertés telle, par exemple, celle d'aller et venir, et qui comprend d'ailleurs celle de stationner, ou le droit de propriété.

Mais, il y a plus dans la mesure où l'article querellé prévoit que le représentant de l'Etat peut alors « prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ».

Une telle formulation est, à tout le moins, vague et imprécise au sens de votre jurisprudence la plus exigeante. Elle ne réserve pas l'intervention de l'autorité judiciaire alors même que les circonstances visées, l'urgence et l'atteinte à l'ordre public que les moyens normalement disponibles ne peuvent satisfaire, supposent que certaines libertés sont susceptibles d'être menacées.

La frontière entre police administrative et police judiciaire, et donc les missions constitutionnellement dévolues aux différentes autorités de l'Etat, sont susceptibles de souffrir d'une telle indétermination du champ d'action de l'autorité préfectorale.

On peut prendre, pour illustration de ces risques, l'article 96 de la présente loi qui, modifiant la loi no 83-629 du 12 juillet 1983, permet à des personnes physiques, dans certaines conditions, de procéder à des fouilles et palpations sous l'autorité du seul préfet, l'autorité judiciaire n'étant alors informée qu'a posteriori. La combinaison des articles 3 et 96 de la présente loi défie donc la prudence constitutionnelle et les garanties prévues par les articles 34 et 66 de la Constitution.

Le risque n'est donc pas nul que ces opérations de maintien de l'ordre sous l'autorité du représentant de l'Etat conduisent à porter atteinte aux droits et libertés.

II-2. En ce qui concerne l'article 8 de la Déclaration de 1789 :

Votre jurisprudence, sans avoir encore consacré le principe non bis in idem dans le cas d'un cumul entre une sanction administrative et une sanction pénale, prend soin, en application du principe de proportionnalité, d'éviter qu'un tel cumul aboutisse à ce que le montant global des sanctions éventuellement prononcées dépasse le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (décision no 89-260 DC du 28 juillet 1989 ; décision no 97-395 DC du 30 décembre 1997).

En l'occurrence, le pouvoir de réquisition accordé au préfet sera susceptible de conduire à ce que le tribunal administratif prononce une astreinte en cas d'inexécution volontaire par la personne concernée, outre la sanction pénale que le juge judiciaire pourra prononcer par ailleurs.

Cela pose un double problème.

D'une part, il s'agit moins là d'un cumul de sanction administrative et de sanction pénale que d'un cumul de deux sanctions pénales, dont l'une déguisée. Il arrive que le juge administratif exerce un pouvoir répressif, comme dans le domaine des contraventions de grande voirie. Au cas présent, en prévoyant que le juge administratif puisse prononcer une telle astreinte à l'encontre d'une personne privée, alors que cette compétence est normalement utilisée à l'encontre de l'administration, le législateur lui a confié, indirectement mais certainement, un pouvoir répressif d'une nature originale. D'autant qu'aux termes mêmes de cet article la personne requise peut être une personne physique. Il s'ensuit une sorte de procédure de contrainte par corps détournée relevant de la compétence du juge administratif.

Cette sanction de nature répressive se trouve alors en situation de se cumuler avec la peine d'amende prévue à l'alinéa suivant pour le refus d'exécuter.

D'autre part, s'agissant dans le premier cas du prononcé d'une astreinte et dans le second cas d'une sanction pécuniaire pouvant atteindre 10 000 EUR, le principe de proportionnalité tel que garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789 est méconnu. Le montant global, en effet, des sommes versées par la personne requise qui aurait fait l'objet d'une double procédure, de contrainte et de poursuite, ne pourra que trop souvent dépasser le montant encouru. Le caractère définitif de l'astreinte liquidée accroît ce risque.

De tous ces chefs, la censure est encourue.


II. - Sur l'article 11 de la loi


Cet article introduit un nouvel article 78-2-2 dans le code de procédure pénale, lequel organise les conditions de fouille des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans les lieux accessibles au public.

Les conditions de déclenchement de ces fouilles, de leur déroulement et des conséquences qui peuvent y être attachées aboutissent à ce que la liberté individuelle et le droit à la vie privée tels que garantis par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789, tout comme l'article 8 du même texte, soient méconnus et ensemble l'article 66 de la Constitution.

Votre jurisprudence relative à la fouille des véhicules se veut protectrice des libertés individuelles en prenant soin de permettre la poursuite de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public, et vous recherchez, à cet égard, un équilibre conciliant divers impératifs constitutionnels (décision no 76-75 DC du 12 janvier 1977 ; décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995). Plus récemment, vous avez donc admis une extension des pouvoirs de la police judiciaire en matière de visite sommaire d'un véhicule, excluant toutefois les voitures particulières, dès lors que celle-ci est placée sous la direction et le contrôle permanent du procureur de la République et que l'immobilisation du véhicule ne peut excéder un temps limité, quatre heures ici, et n'est destinée qu'à s'assurer de l'absence de personnes dissimulées (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).

Il en ressort donc que : le rôle de l'Autorité judiciaire doit être pleinement garanti pour s'assurer des libertés individuelles et de la vie privée, et que l'exercice de procédures dérogatoires doit être strictement nécessaire, c'est-à-dire, au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789, justifié au regard de la gravité des infractions visées.

L'absence de nécessité et de garanties ou leur insuffisance ne peuvent que conduire à la censure de la disposition en cause.

II-1. Certes, après une brève lecture de la disposition critiquée, on pourrait croire que les garanties indispensables sont observées. La rédaction est destinée à en administrer l'impression. La réalité du mécanisme le dément.

Il apparaît, d'une part, que le champ de l'autorisation préalable délivrée par le représentant du parquet embrasse un nombre et des catégories d'infractions très larges, trop larges. Si les auteurs de la saisine sont évidemment conscients, pour avoir légiféré en ce sens encore récemment, que les menaces terroristes exigent les plus grandes précautions et la dernière vigueur, force est d'admettre que la répression du vol ou, plus encore, de la détention de stupéfiants, y compris pour sa seule consommation personnelle, ne peuvent conduire à permettre que les forces de police soient autorisées à procéder à la fouille des véhicules. En particulier, le fait de viser l'article 222-37 du code pénal y aboutit pourtant, alors même qu'aucune nécessité n'apparaît à cet égard.

II-2. D'autre part, il faut également relever que l'autorisation du procureur de la République est normalement délivrée pour une période de vingt-quatre heures. Il importe cependant d'observer que celle-ci est « renouvelable sur décision expresse et motivée », soit donc sans limites réelles de durée. Le texte, en effet, ne précise pas s'il s'agit d'un unique renouvellement et si la prolongation peut donc, de facto et de jure, perdurer pendant plusieurs périodes de vingt-quatre heures.

On doit en inférer que le champ très large des infractions visées, dont certaines très éloignées des dangers de la barbarie terroriste, et le temps pendant lequel les forces de l'ordre peuvent pratiquer ces contrôles sont de nature à menacer la liberté individuelle.

Cette menace pour la liberté individuelle est accrue par le fait que les véhicules concernés seront non seulement ceux qui circulent, stationnent ou sont arrêtés sur la voie publique, ce qui est déjà beaucoup, mais tout pareillement ceux qui sont dans « des lieux accessibles au public ». Cette dernière notion manque pour le moins de précision et pourrait, par exemple, conduire à fouiller un véhicule stationnant dans un champ où se déroule une « rave party » et où deux jeunes se livrent à des échanges amicaux. On imagine qu'en application de l'article 222-37 du code pénal, de nombreux véhicules personnels pourront être visités par les forces de l'ordre sans que, pourtant, existe un risque majeur pour l'ordre public.

De même, alors que tous les véhicules à usage d'habitation (caravanes, camping-cars, roulottes, etc.) devraient être considérés comme des résidences mobiles et donc bénéficier de la protection reconnue au domicile par votre décision no 164 DC du 29 décembre 1983, le quatrième alinéa introduit une double restriction : ne sont soumis au régime des visites domiciliaires et des perquisitions que « les véhicules spécialement aménagés à usage d'habitation et effectivement utilisés comme résidence ».


On peut s'interroger sur le sens et la portée de l'adjectif « spécialement ». Certes, la jurisprudence sera à même de nous renseigner à l'avenir. Mais cette solution n'est pas satisfaisante, la protection des libertés individuelles et de la vie privée exigeant davantage de précision de la part du législateur. De plus, certaines personnes en situation de grande précarité aménagent parfois leur véhicule de façon sommaire et y dorment quand elles n'ont plus les moyens de financer un toit : sans assimiler tout véhicule à un domicile privé, il convient de veiller à ce qu'une voiture qui devient l'ultime refuge d'un individu sans domicile fixe rende possible la préservation de ses libertés fondamentales, y compris une part d'intimité.

Quant à l'exigence d'une utilisation effective dudit véhicule comme résidence, elle introduit un nouveau critère qui réduit également le champ relevant des visites domiciliaires et des perquisitions. De fait, un local à usage d'habitation est considéré comme tel par principe, sans considération de son usage effectif ; aucune distinction n'est opérée entre une habitation principale et une résidence secondaire. Il doit en être de même pour les résidences mobiles, indépendamment des conditions de leur utilisation. Il va de soi que les gens du voyage sont les premiers concernés.

Dans tous les cas, si l'on peut comprendre les motifs d'ordre public invoqués par le Gouvernement, la double restriction précitée est disproportionnée, d'autant que les règles applicables aux perquisitions et visites domiciliaires dans le cadre des enquêtes de flagrance par les articles 56 et suivants du code de procédure pénale (qui de facto trouvent à s'appliquer pour les véhicules à usage d'habitation) confèrent déjà aux enquêteurs des prérogatives étendues.

Au demeurant, on observe qu'une formule beaucoup plus large a été retenue à l'article 53 pour la procédure de saisie des véhicules en cas d'occupation indue d'un terrain privé : une exception a été introduite pour l'ensemble des « véhicules destinés à l'habitation », sans autre précision. Le fait qu'une formulation plus restrictive ait été retenue à l'article 11 témoigne d'une intention évidente de contourner la protection constitutionnelle reconnue au domicile, qu'il soit fixe ou mobile.

L'avant-dernier alinéa de l'article 11 (et, par voie de conséquence, les dispositions correspondantes des articles 12 et 13) doit être déclaré contraire à la Constitution.

Au total, l'article critiqué fait peser sur les libertés individuelles et la vie privée des risques réels et porte en lui trop de menaces d'applications extensives pour satisfaire les normes constitutionnelles.

De surcroît, il est peu de dire que des périodes très longues concernant des infractions multiples, et très diverses quant à leurs éléments constitutifs, n'offrent pas les conditions suffisantes pour que l'autorité judiciaire puisse assurer un contrôle permanent et direct comme l'exige votre jurisprudence. Le mécanisme est conçu pour qu'en réalité l'autorité judiciaire ne puisse assurer complèment sa mission. On rappellera qu'en écho à votre jurisprudence la Cour de cassation exige pourtant que le juge judiciaire exerce un contrôle effectif durant l'entier déroulement d'une mesure portant atteinte à la liberté individuelle (Cass. chambre mixte, 15 décembre 1988).

II-3. Car, enfin, la lecture dépassionnée mais constructive de ce texte laisse apparaître que votre jurisprudence de 1977 trouve à s'appliquer dans la mesure où, en définitive, cet article couvrira trop souvent des opérations de police administrative hors la commission d'une infraction. C'est ici que l'article 8 de la Déclaration de 1789 est le plus clairement méconnu en ce qu'il interdit que le législateur prévoit des mesures qui soumettent de façon disproportionnée les libertés individuelles.

Il en ira ainsi quand une procédure dérogatoire au droit commun est applicable alors, par exemple, que les actes visés ne sont pas d'une gravité telle qu'ils la rendent nécessaire (décision no 96-377 DC du 16 juillet 1996).

L'article 11 en fait, par sa propre rédaction, la démonstration.

La remise d'un procès-verbal n'est prévue qu'en cas de découverte d'une infraction (ou - hypothèse relativement théorique - lorsque le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande). La découverte d'une autre infraction que celle visée dans les réquisitions du parquet ne constituera pas une cause de nullité des procédures incidentes. La liste des infractions dont la recherche peut donner lieu à des fouilles de véhicules est très large, au point qu'elle s'apparente à une série de prétextes pouvant justifier la mise en place de contrôles systématiques.

Au total, l'exception de fouille de véhicules est destinée à devenir une règle hors les limites de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

On le voit, les risques pour les libertés individuelles sont très importants en raison du champ trop large et de l'absence de contrôle permanent et direct de l'autorité judiciaire. Faute de précisions suffisantes, l'article 11 encourt la censure et, à tout le moins, les mots et alinéas qui privent des garanties nécessaires les individus.


III. - Sur l'article 12 de la loi


Cet article insère un article 78-2-3 nouveau dans le code de procédure pénale pour autoriser les visites de véhicules circulant ou arrêtés sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public lorsqu'il existe à l'égard du conducteur ou d'un passager « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis un crime ou un délit flagrant ».

Un tel dispositif encourt, de plus fort, les mêmes critiques que celles précédemment développées relativement à l'article 5, tant en ce qui concerne les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789 que 66 de la Constitution. En tout état de cause, l'article 34 de la Constitution est méconnu et l'incompétence négative patente.

D'abord, il n'apparaît pas que la visite en cause se déroule sous le contrôle permanent et direct de l'Autorité judiciaire, celle-ci n'étant, aux termes de cet article , avisée à aucun moment. En sorte qu'on doit considérer qu'elle ne prend connaissance du contrôle qu'à son issue, par transmission du procès-verbal dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article précédent et auquel il est renvoyé.

Ensuite, force est d'admettre que la notion de « raisons plausibles », seraient-elles plusieurs, laisse sceptique sur la portée de l'article . Là encore, la référence permettant de mettre en oeuvre la procédure critiquée est floue et imprécise.

Dans la même logique de protection contre les contrôles arbitraires, le fait que les passagers puissent faire l'objet de cette procédure, ou plus exactement, puissent être à l'origine d'une telle visite de voiture, montre clairement le champ trop large de la mesure critiquée.

Du point de vue des garanties des libertés publiques, ce n'est tout simplement pas acceptable.

La circonstance que les hypothèses envisagées se limitent aux crimes et délits flagrants ne doit pas tromper dans la mesure où les enquêtes en cas de flagrance permettent aussi une certaine intervention de l'autorité judiciaire.

L'article 56 du code de procédure pénale, qui prévoit que la durée de l'enquête de flagrance peut atteindre huit jours au plus, permet à un magistrat d'intervenir pour autoriser certains actes. Ainsi, alors qu'il s'agissait de visites domiciliaires de nuit en matière de répression des actes de terrorisme, vous avez admis, seulement en cas d'enquête de flagrance, une procédure au cours de laquelle l'autorité judiciaire intervenait d'une façon ou d'une autre, à un moment ou à un autre, pour légitimer l'intervention des forces de police (décision no 96-377 DC du 16 juillet 1996).

Au cas présent, et alors qu'il n'est certes question que de visite de véhicule, aucune intervention de l'Autorité judiciaire n'est organisée. On aurait pourtant pu imaginer qu'à l'instar du régime déjà admis, cette dernière doive être avertie une fois le véhicule immobilisé pendant une période n'excédant pas, par exemple, un délai très bref (voir décision du 22 avril 1997, précitée).

Encore une fois, il importe de rappeler que la loi critiquée porte création de nouveaux délits, parfois anciennes contraventions, et qu'en conséquence l'extension des pouvoirs de police judiciaire au titre du code de procédure pénale peut conduire à multiplier les hypothèses d'intervention et donc les risques d'atteintes aux libertés publiques et individuelles. Pour revenir au cas de la prostitution, il est certain que cet article 12 autorisera toute visite de véhicule susceptible d'abriter des amours tarifés. En effet, le 4° nouveau de l'article 225-10 du code pénal punit le fait de vendre un véhicule à une personne sachant qu'elle va se livrer à la prostitution. Rien n'interdirait donc de visiter des véhicules dans le cadre d'une enquête de flagrance relative à cette nouvelle infraction.

L'extension du domaine de la répression simultanément à une extension des procédures dérogatoires au droit commun permises par le code de procédure pénale ouvre le champ où les libertés risquent d'être menacées. Seul un encadrement rigoureux et précis grâce à une intervention utile de l'Autorité judiciaire aurait permis, peut-être, de limiter ce danger.

Or, rien de tel en l'occurrence.

La censure ne manquera pas d'être prononcée.


IV. - Sur l'article 13 de la loi


Cet article introduit un article 78-2-4 dans le code de procédure pénale permettant aux officiers de police judiciaire de procéder à la fouille de tout véhicule aux fins de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens.


Il encourt les mêmes griefs que les articles 11 et 12 de la loi, y compris la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution.

On se retrouve, s'agissant de l'article 13, confronté à une disposition topique de ce que vous avez censuré dans vos importantes décisions des 12 janvier 1977 et 18 janvier 1995 (précitées). Dans cette dernière décision, était précisément en cause un cas où la fouille du véhicule se déroulait avec une information du procureur de la République réalisée seulement a posteriori.

Sa rédaction repose, en effet, sur un critère insuffisamment précis, et la distinction entre les opérations de police administrative et celles de la police judiciaire n'est dès lors guère opérable. La lecture comparée de l'article 78-2 du code de procédure pénale applicable en matière de contrôle d'identité montre, à cet égard, la différence et éclaire les carences de l'article critiqué. Dans ce cas, on comprend, et la Cour de cassation s'y emploie, ce qu'est une personne qui a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit, ou se prépare à en commettre un, ou est susceptible de fournir des renseignements sur ce point, ou bien fait l'objet de recherches ordonnées par l'autorité judiciaire.

Dans le cas présent, il est délicat de définir avec certitude ce qu'est une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens seulement potentielle. Tout le monde, et particulièrement les auteurs de la saisine, s'accordera pour sa prévention. Mais l'organisation de tels contrôles préventifs suppose des critères plus précis que ceux choisis, au point qu'il faut considérer que ce pouvoir de police, pour être administratif, est trop général et absolu.

En outre, cet article ne prévoit ni intervention ni contrôle de la part de l'autorité judiciaire, sinon marginal et hypothétique. Ainsi, sauf à ce que le conducteur du véhicule refuse, le procureur de la République n'interviendra pas. On doit donc considérer que le législateur n'a pris aucune des précautions indispensables pour éviter une interprétation ou des pratiques abusives.

L'incompétence négative du législateur, au moins, la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution, certainement, entachent l'article 13 de vices rédhibitoires. A l'instar de tout ou partie des articles 11 et 12, au point que l'on doit se demander si le contrôle n'est pas devenu la règle et les possibilités d'y échapper l'exception.


V. - Sur les articles 21 à 25 de la loi


Ces articles prévoient la mise en oeuvre de fichiers faisant appel au traitement automatisé de données personnelles et nominatives recueillies dans le cours de procédures d'enquêtes préliminaires, de flagrance ou lors d'investigations exécutées sur commission rogatoire et concernant tout crime ou délit ainsi que des contraventions de cinquième classe sanctionnant un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publique.

La procédure de recollement et de conservation de ces informations, ainsi que le champ des données concernées sont organisés, tout comme la détermination des personnes pouvant accéder à ce fichier et les causes des consultations.

Les auteurs de la saisine sont évidemment attachés à doter l'autorité judiciaire, et les forces de police et de gendarmerie travaillant sous son contrôle, de l'ensemble des moyens les plus efficaces pour assurer la recherche des auteurs des infractions nécessaire à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle. C'est à la condition, cependant, que la poursuite de cet objectif soit concilié avec les libertés publiques au nombre desquelles compte, notamment, la liberté individuelle. Cet équilibre apparaît ici rompu.

Si la définition par le législateur des conditions d'établissement d'un tel fichier, dont l'un déjà existant avait fait l'objet d'un décret en date du 5 juillet 2001, est préférable à la constitution empirique et mal contrôlée de tels traitements, ainsi que la CNIL l'avait souhaité dans un avis de décembre 2000, il demeure que ce doit être afin de prévoir toutes les garanties nécessaires en la matière.

Les dispositions querellées n'évitent pas ces écueils.

En sorte que la liberté individuelle et la vie privée telles que garanties par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789 sont méconnues. Il en va de même du principe fondamental reconnu par les lois de la République de protection pénale spéciale des mineurs. Enfin, le principe de présomption d'innocence, le principe d'égalité et le droit au recours énoncé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 sont violés.


V-1. En ce qui concerne les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789 et l'article 34 de la Constitution :

La constitution, la conservation et la consultation d'un traitement automatisé comprenant des données directement ou indirectement nominatives doivent répondre pleinement aux prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 et ne doivent pas, quoi qu'il en soit sur ce point, méconnaître d'autres droits fondamentaux. C'est ce que vous avez pris soin de rappeler dans votre jurisprudence (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997, considérant 5). Qu'en particulier, il en va ainsi de la liberté individuelle et la vie privée (décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998). Que la protection des données personnelles, en ce qu'elle affecte la liberté individuelle et la vie privée, impose que la finalité des traitements les concernant soit strictement entendue et que les personnes appelées à y accéder soient les moins nombreuses possible et ne puissent le faire qu'en raison de l'objet dudit fichier.

En l'espèce, il importe, en premier lieu, de relever qu'il n'y a pas de référence expresse à la loi no 78-17 du 6 janvier 1978, alors que cela constitue une garantie des libertés (voir sur ce point : décision no 93-325 DC du 13 août 1993, considérant 133). Cette carence a fait l'objet d'une remarque négative de la part de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés réunie en séance plénière le 24 octobre 2002.

C'est en vain que l'on considérerait que le renvoi à un décret par le § V de l'article 21 suffit à satisfaire cette exigence. Celle-ci devrait imposer, notamment, la consultation de cette autorité administrative indépendante lors de la création de tout nouveau traitement, afin que soient précisément définies dans chaque cas la finalité du traitement, les catégories exactes d'informations nominatives enregistrées, les infractions retenues, les modalités du droit d'accès et la sécurité du traitement.

En second lieu, il apparaît que la liste des personnes pouvant consulter lesdits fichiers et les causes de ces consultations sont trop larges et sans lien réel avec la finalité de ces fichiers, à savoir la poursuite et l'identification des auteurs d'infractions, dont le champ est particulièrement étendu puisqu'il comprend tout crime ou délit et certaines contraventions de cinquième classe.

Or, l'article 25 de la présente loi propose un nouvel article 17-1 pour la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 dont les deuxième et troisième alinéas prévoient la consultation des traitements susvisés aux motifs d'enquêtes administratives de toute sorte.

(i) Le deuxième alinéa envisage, à cet égard, une liste des enquêtes administratives à établir par voie de décret. Une telle disposition heurte le principe de liberté individuelle et la vie privée tant elle est large et pourrait conduire à des pratiques abusives. Force est ici d'admettre que la finalité du fichier, au but judiciaire, est étrangère à la consultation par des autorités administratives faites dans un but tout autre. La moralité et les qualités personnelles d'un individu sont évolutives et la circonstance de figurer dans un tel fichier, encore une fois de conception très large, ne signifie pas nécessairement que l'individu concerné soit coupable, ni soupçonnable au plan administratif, sans compter que les données peuvent également concerner les victimes d'infractions.

Se pose sur ce point la question de la relation entre les fichiers en cause et le casier judiciaire, dont la constitution et la consultation répondent à des garanties que l'article 25 contourne habilement.

En effet, les administrations susceptibles d'avoir un accès aux fichiers de police judiciaire en application des dispositions de l'article 25 sont celles qui, aujourd'hui, peuvent obtenir l'extrait de casier judiciaire dit « bulletin no 2 » en application des dispositions du code de procédure pénale. Or, ce bulletin ne fait apparaître que certaines décisions de justice qui sont, de surcroît, toutes devenues définitives. En revanche, les informations figurant dans les fichiers de police judiciaire peuvent concerner une personne mise en cause au moment de la consultation administrative mais qui sera ultérieurement innocentée, parfois plusieurs années après, par une décision d'acquittement ou de non-lieu.

Or, l'article 25 ne précisant pas les conséquences juridiques susceptibles de découler de la consultation des fichiers de police judiciaire par les administrations, il permettra à ces dernières de prendre des décisions individuelles faisant grief - à l'instar du refus de recruter la personne faisant l'objet d'une enquête - prises sur le fondement d'informations provisoires et incomplètes et à l'encontre de personnes mises en cause dont certaines sont innocentes.

Ce faisant, le législateur n'a pas apporté de garanties suffisantes en matière de protection des libertés individuelles et n'a donc pas épuisé la compétence qu'il détient en application de l'article 34 de la Constitution.

A ce double titre, l'article 25 doit être censuré.

Il importe de rappeler que la CNIL, dans sa délibération no 2000-64 du 19 décembre 2000 sur le STIC, a fait part de sa crainte que ce fichier puisse, eu égard à son « caractère exhaustif, servir à répertorier l'ensemble des procédures pénales dans lesquelles une personne aurait pu être mise en cause » et a conclu en indiquant qu'il ne devait « pas être utilisé comme un casier judiciaire parallèle » (§ 2.1 de la délibération).

Dans cette même délibération, la CNIL a considéré que « le STIC ne pourra pas être utilisé dans le cadre d'enquêtes, dites parfois de moralité, ordonnées par l'autorité administrative sur des personnes sollicitant un titre, une habilitation, une autorisation ou un agrément » (§ 2.2 de la délibération). Ce danger grave pour les libertés individuelles et le respect des droits des personnes a encore été récemment pointé par cette autorité administrative indépendante lors de sa séance du 24 octobre 2002.

(ii) En tout état de cause, le renvoi à un décret simple ne pourra purger ce vice d'inconstitutionnalité dans la mesure où, en se remettant au pouvoir réglementaire et alors que sont en cause des libertés essentielles, le législateur n'a pas épuisé sa compétence telle que définie par l'article 34 C en matière de protection des libertés.

Il est frappant, à cet égard, de relever que dans une matière le justifiant par essence la consultation de la CNIL, au préalable de l'adoption de ce décret, n'est pas organisée.

L'incompétence négative est d'autant plus flagrante qu'aucun mécanisme suffisant, aucune intervention de la CNIL ou de l'autorité judiciaire n'étant prévue, ne permet de s'assurer que cette consultation des fichiers sera entourée des garanties indispensables pour les libertés individuelles et la vie privée et familiale des personnes (décision no 99-416 DC du 23 juillet 1999).

Enfin, la circonstance que la durée de conservation des données n'est pas précisée, ou tout du moins encadrée par la loi, marque l'absence de garanties des libertés publiques qu'il incombe pourtant au législateur de prévoir. Eu égard à la nature des données en cause et au nombre considérable d'administrateurs susceptibles d'y avoir accès, le renvoi à un décret paraît insuffisant, et ce d'autant plus que différents mécanismes, dont ceux de consultation, auront une portée effective susceptible de varier selon la durée de conservation des données. L'actuel décret applicable prévoit vingt ans. Cette durée déjà très longue sera-t-elle reprise ou allongée, ou bien réduite ? Ces variations n'ont pas le même impact sur les libertés.

(iii) Plus grave encore l'obligation faite en matière d'accès à la nationalité et au renouvellement de la carte de séjour par le troisième alinéa de cet article 25.

Les craintes exprimées par la CNIL sont encore plus présentes à cet instant.

Tout d'abord, ces consultations sont en directe opposition avec le principe de finalité des traitements des données personnelles. L'acquisition de la nationalité française ne peut être subordonnée à la consultation d'un fichier qui peut, le cas échéant, contenir, ainsi que le prévoit l'article 21 de la loi, des informations relatives à des personnes mises en cause par les services de police à un moment déterminé et qui seront ultérieurement innocentées par une décision de justice telle qu'un non-lieu, un classement pour insuffisance de charges ou un acquittement.

C'est pourquoi les dispositions de l'article 25 obligeant les administrations ayant pour mission d'instruire les demandes d'accès à la nationalité ou de délivrer les titres de séjour à consulter les fichiers de police judiciaire sont susceptibles de les conduire à prendre des décisions de refus infondées (erreur de fait) aux conséquences juridiques et matérielles graves pour le requérant, ce qui méconnaît le droit à la vie privée et familiale des personnes dont vous avez reconnu la valeur constitutionnelle (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).

De surcroît, l'obligation de procéder à la consultation en ces matières ne laisse aucune place à l'appréciation de la situation individuelle du requérant par l'administration et tend à transformer toute personne étrangère, qu'elle soit en situation régulière ou en passe de le devenir, en suspect administratif, ce qui rompt l'équilibre auquel doit veiller le législateur entre les nécessités du maintien de l'ordre public et les dispositions selon lesquelles les hommes sont présumés innocents et naissent et demeurent libres et égaux en droit ainsi que le prévoient respectivement les articles 9 et 2 de la Déclaration des droits de l'homme.

En matière de titre de séjour, il n'est pas indifférent de rappeler que vous avez censuré une disposition tendant à soumettre le renouvellement d'un tel titre à la menace ou non que représente pour l'ordre public l'étranger titulaire. Vous l'avez jugé en considérant que cette disposition rompait l'équilibre que la Constitution impose au législateur d'assurer entre les nécessités de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée et familiale. Une simple menace pour l'ordre public ne pouvant suffire pour justifier un non-renouvellement d'une carte de résident ayant permis à son titulaire de tisser des liens forts et durables avec la France (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997, considérant 45).

Il est vrai que la disposition censurée figurait dans le programme du Front national pour les élections législatives de 1993.

Quoi qu'il en soit, l'obligation de consulter un fichier de police judiciaire comportant des informations très diverses en vue du renouvellement des titres de séjour des étrangers, y compris lorsqu'il s'agit d'une carte de résident, ne peut que violer, même indirectement, le droit à la vie privée.

En tentant de faire revivre, par un biais grossier, une disposition que votre vigilance républicaine avait permis de censurer, le troisième alinéa de l'article 25 doit connaître le même sort.

De tous ces chefs, la censure est encourue.

V-2. En ce qui concerne le principe fondamental reconnu par les lois de la République de la spécialité du droit pénal des mineurs.

L'article 21, en ce qu'il prévoit que les traitements en cause peuvent contenir des informations sur les personnes mais sans limitation d'âge, viole le principe fondamental reconnu par les lois de la République que vous avez consacré récemment (décision no 2002-461 DC du 29 août 2002, considérant 26).

Qu'en particulier, cette disposition pourrait conduire à ce que des informations portent sur des mineurs de moins de dix ans, pour lesquels ce principe est encore plus protecteur. S'agissant des autres mineurs, considérant la nécessité du relèvement éducatif et moral et les mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité susceptible d'évolution, il est fortement inconstitutionnel de prévoir un tel dispositif risquant de figer l'appréciation des forces de police mais aussi des autorités administratives conduites à consulter un tel fichier pour des renseignements administratifs ou en vue de l'acquisition de la nationalité française. Dix ans ou vingt ans après les faits, les choses peuvent avoir bien changé depuis les jeunes années.

On observera que la CNIL a pointé, en séance plénière du 24 octobre 2002, le problème qu'ouvrirait une telle possibilité.

Cette disposition dont on voit bien le danger qu'elle recèle pour des enfants ou des adolescents vient compléter de façon détournée la loi de programmation pour la justice que vous aviez validée en établissant pour l'avenir les limites à ne pas franchir dans un domaine aussi sensible. Cette limite est franchie par le § II de l'article 21.

La référence à l'absence de limitation pour motif d'âge ne pouvant servir que pour les mineurs, c'est donc l'ensemble du § II qui encourt la censure.

V-3. En ce qui concerne la présomption d'innocence garantie par l'article 9 de la Déclaration de 1789, le principe d'égalité et le droit au recours.

Le champ très large des informations nominatives ainsi recueillies aurait dû obliger le législateur à prévoir des mécanismes très précis et particulièrement protecteurs des droits et libertés. Or, il n'en a rien été.

En premier lieu, il apparaît que le principe de la présomption d'innocence est méconnu dès lors que des informations nominatives relatives à des décisions de non-lieu ou de relaxe, voire de classement sans suite, pourront être conservées pendant une durée sans doute assez longue, mais dont on ignore encore tout à ce stade.

On peut noter la différence avec l'actuel décret organisant le STIC, aux termes duquel la mise à jour des informations est obligatoire dans cinq hypothèses et, en particulier, en cas de décision définitive de relaxe ou d'acquittement. Cette solution résulte directement de l'avis de la CNIL du 19 décembre 2000 pour l'article 3 du projet de décret concerné.

Dans le cas de la loi, les mises à jour en cas de relaxe ou d'acquittement sont dans la main du procureur et soumises à sa seule appréciation discrétionnaire.

En second lieu, et à l'inverse, les victimes peuvent s'opposer au maintien des données nominatives les concernant dès que l'auteur des faits a été définitivement condamné.

En maintenant deux régimes distincts pour la mise à jour des données personnelles, l'article 21 méconnaît le principe d'égalité.

En dernier lieu, le pouvoir accordé au procureur de la République est sans contrepartie procédurale. D'abord, il convient de s'interroger sur la nature de la décision qu'il prend lorsqu'il décide de maintenir une information dont l'intéressé a demandé la suppression. Soit il s'agit d'une décision de nature judiciaire, soit il s'agit d'une décision de nature administrative. Mais, en tout état de cause, il importe de la qualifier pour garantir le droit de s'y opposer. Car, ensuite et par voie de conséquence, cette décision doit pouvoir faire l'objet, le cas échéant, d'un recours administratif préalable et juridictionnel quoi qu'il en soit.

S'agissant de données personnelles ayant à voir avec la liberté individuelle et la vie privée, il était certainement indispensable de prévoir le mécanisme permettant à chaque individu de faire valoir ses droits, et notamment celui à l'oubli lorsque les circonstances le méritent.

Faute d'avoir prévu les voies de recours constitutionnellement exigées, le § III de l'article 21 encourt la censure. Son caractère non séparable de l'ensemble de l'article doit conduire à l'invalidation pour le tout.


VI. - Sur l'article 28


Cet article insère un article 706-47-1 nouveau dans le code de procédure pénale dont l'objet est de permettre à l'officier de police judiciaire, agissant au cours de l'enquête ou sur commission rogatoire, de faire procéder à un examen médical et à une prise de sang sur toute personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants d'avoir commis certaines agressions sexuelles en référence expresse au code pénal et ce afin de s'assurer que la personne en cause n'est pas atteinte d'une maladie sexuellement transmissible.

Le médecin ou l'infirmier réquisitionné pour ce faire doit « s'efforcer » d'obtenir le consentement de la personne. Toutefois, l'opération peut être effectuée sans ce consentement « à la demande de la victime » ou « lorsque son intérêt le justifie ».

Un tel dispositif dont l'objectif pourrait être admis par les auteurs de la saisine s'avère cependant, en l'état, entaché d'au moins trois vices d'inconstitutionnalité. Non seulement, cette procédure de contrainte s'avère, au moins pour partie, disproportionnée au regard notamment de la présomption d'innocence, mais, de surcroît, elle porte atteinte à la liberté individuelle et partant à l'article 66 de la Constitution et, enfin, méconnaît les droits de la défense.

VI-1. En ce qui concerne la méconnaissance des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 :

Ce principe suppose que les mesures de répression, y compris au plan de la procédure pénale, soient strictement nécessaires et donc proportionnées au but à atteindre.

Or, en l'espèce, la liste des infractions pouvant justifier un tel prélèvement au regard des maladies sexuellement transmissibles est à l'évidence trop large. Certes, si l'on comprend évidemment sa portée s'agissant des hypothèses de viol, on doit admettre que la justification disparaît lorsqu'est en cause une personne, encore présumée innocente, à propos d'un attentat à la pudeur tel que le prévoit l'article 222-27 du code pénal.

Il importe de rappeler, à cet égard, que la personne concernée peut se trouver en situation de subir cet examen alors que la procédure est encore au stade de la simple enquête préliminaire et qu'il n'y a pas eu d'acte de pénétration sexuelle au sens de la définition du viol. De telles conditions pour la recherche des maladies sexuellement transmissibles apparaissent, à cet égard, disproportionnées.

A tout le moins, les mots : « à 222-27 » devraient être censurés.

VI-2. En ce qui concerne la liberté individuelle, les droits de la défense et l'article 66 de la Constitution :

Encore une fois, il convient de rappeler que les auteurs de la saisine ne remettent pas en cause le principe de cet article mais certaines des modalités retenues incroyablement excessives. Il en va ainsi du pouvoir accordé à la victime qui, aux termes de cette disposition, apparaît de droit.

D'une part, le droit de disposer de son corps et son inviolabilité qui en constitue le corollaire (décision no 343-344 DC du 27 juillet 1994) ne peuvent être limités qu'à des conditions particulièrement strictes et parce que seraient menacés dans leur substance d'autres droits et libertés fondamentales. Qu'une telle conciliation suppose un contrôle de proportionnalité rigoureux.

En l'espèce, il est peu de dire que la disposition critiquée permet de passer outre aux droits et libertés précités sans le consentement de la personne et dans des circonstances qui ne relèvent pas nécessairement de la nécessité impérieuse. Comme les auteurs de la saisine l'ont déjà relevé, le flou qui entoure la rédaction de l'article 28 fait qu'il n'est pas certain que ce consentement soit indispensable y compris lorsque le prélèvement est décidé par un officier de police judiciaire. Dans tous les cas, cette protection disparaît quand la victime le demande, voire même tout simplement « lorsque son intérêt le justifie ».

On observera, en outre, que ce prélèvement pouvant s'exercer au stade de l'enquête préliminaire, il n'est pas certain que la demande de la victime soit toujours fondée. Il faut redouter, d'ailleurs, qu'à ce stade des investigations, plusieurs personnes soient soupçonnées. On doit donc en déduire que la victime pourra réitérer sa demande. Ceci est véritablement excessif et ne se justifie pas.

D'autre part, et alors qu'il s'agit d'une contrainte pesant sur la liberté individuelle, il ressort du texte critiqué que l'autorité judiciaire ne peut jouer son rôle protecteur tel que défini par l'article 66 de la Constitution. Certes, la demande de la victime est réalisée après que des instructions écrites de magistrats ont été prises puis versées au dossier. Cette précision ne doit pas tromper : l'intervention de l'autorité judiciaire se fait a posteriori de la demande et l'accompagne mais ne la contrôle pas. Elle lui donne sa force juridictionnelle. Pour autant, la demande de la victime est de droit.

Toute autre aurait été la situation si la demande de la victime avait été faite à l'autorité judiciaire qui aurait eu le choix de refuser ou non cette requête. Un tel refus pouvant survenir, par exemple, en cas de simple attentat à la pudeur ne justifiant pas le dépistage d'une maladie sexuellement transmissible ou de l'absence de justification en l'état de l'enquête. Aucune de ces précautions n'existe et la censure de cette partie de la procédure est méritée.

D'autant plus, en dernière part, que les droits de la défense se trouvent atteints. On sait votre exigence pour que ce principe « implique, notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable, garantissant l'équilibre des droits des parties » (décision no 89-360 DC du 28 juillet 1989, considérant 43).


En l'occurrence, le pouvoir donné à la victime, au stade de la simple enquête préliminaire, ne peut que déséquilibrer la suite de la procédure et surtout si la personne ayant fait l'objet de ce prélèvement, alors qu'elle n'est pas forcément encore assistée d'un avocat, devait être mise en examen par la suite. On imagine comment du point de vue procédural, voire psychologique, l'égalité des armes sera rompue dès lors que la victime a pu diligenter des actes de procédure à l'encontre de la partie poursuivie et hors le contrôle d'un magistrat du siège.

La place qu'il importe de donner aux victimes d'infraction, évolution pour laquelle les auteurs de la saisine ont oeuvré depuis plusieurs années, ne peut cependant pas aboutir à un déséquilibre des droits des personnes impliquées dans une procédure pénale. La nature des crimes de viol, et certaines autres agressions sexuelles, justifie que pleine attention soit portée à la victime, y compris pour prévenir les risques pour sa santé et celle d'autres personnes. Elle ne doit pas conduire à ouvrir la brèche dans le droit à un procès équitable.

De ces chefs, les invalidations nécessaires interviendront immanquablement.


VII. - Sur l'article 30 de la loi


L'article 30 permet à l'officier de police judiciaire de procéder ou de faire procéder à des opérations de « prélèvements externes » sur certaines personnes pour les nécessités d'une enquête. Le caractère à la fois très large et imprécis de cette disposition fait peser sur les libertés individuelles des risques disproportionnés.

En effet, la notion de « prélèvements externes » n'est pas définie de façon suffisamment précise et les indications qui ont été avancées dans le cadre des débats étaient soit insuffisantes, soit contradictoires.

Un prélèvement externe peut-il permettre de recueillir une empreinte génétique ? La nature de ces prélèvements est particulièrement sujette à discussion...

L'inviolabilité du corps humain, à laquelle il a déjà été fait référence à propos de l'article 28, n'est pas même garantie. A tout le moins, on doit considérer que ce manque de précision s'apparente à un nouveau cas de violation par le législateur de sa propre compétence. Or, comme les auteurs de la saisine l'ont précédemment relevé, vous avez déjà eu l'occasion, dans de très nombreuses décisions, de protéger le domaine défini par l'article 34 de la Constitution des abandons que le législateur pouvait consentir au profit du pouvoir réglementaire, notamment en matière de libertés publiques.

En l'espèce, cette incompétence négative du législateur est d'autant plus grave que le refus de se soumettre aux opérations de prélèvement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 EUR d'amende.

De plus, le champ d'application de l'article 30 est très large. Etaient visées initialement l'ensemble des personnes « concernées » par la procédure.

Consciente de la difficulté, l'Assemblée nationale a finalement décidé de limiter ce champ en faisant référence, certes, aux suspects (à l'encontre desquels il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'ils ont commis ou tenté de commettre une infraction), mais également aux « personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits en cause » : cette dernière formulation demeure particulièrement imprécise et de nature à donner lieu à des applications extensives.

Pour ces raisons, l'article critiqué encourt la censure.


VIII. - Sur l'article 50 de la loi


L'article 50 de la loi définit comme délit puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 EUR d'amende le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération. De plus, il réprime le client d'une personne prostituée en situation de vulnérabilité.

Le sens et la portée de cette disposition ont fait l'objet de multiples débats. L'enjeu est d'importance car il s'agit de la dignité des personnes se livrant à la prostitution, soit qu'elles le fassent comme esclaves de réseaux criminels barbares ou sous la contrainte d'un proxénète, soit qu'elles s'y livrent librement entre adultes consentants. Ce sujet exige de mesurer la réalité de la situation. Or, la disposition en cause voit le degré d'humanité de notre société reculer devant les hypocrisies bien pensantes. Les auteurs de la saisine n'entendent pas, à cet égard et à ce stade de la réflexion sur le sujet, s'éloigner de la tradition française abolitionniste. Ils s'opposent donc à toute dérive prohibitionniste comme la Chine ou l'Iran.


Du point de vue constitutionnel, l'article 50 s'avère contraire au principe de nécessité des peines, au principe de légalité des délits et des peines, et, par voie de conséquence, au principe de dignité humaine. A titre subsidiaire, il faudrait considérer que les peines déterminées sont disproportionnées.

VIII-1. En ce qui concerne l'article 8 de la Déclaration de 1789 et le principe de nécessité des peines et délits :

Votre jurisprudence illustre la force de ce principe au titre duquel vous avez censuré des dispositions pénales tendant à introduire de nouvelles incriminations en matière de prévention et de répression des actes de terrorisme. Dans ce cas, les crimes visés pouvaient être poursuivis au travers d'autres dispositions du même code, alors même que la nouvelle infraction ne visait que des faits non matériels et non directement attentatoires à la sécurité des biens et des personnes. De surcroît, vous aviez noté que cette qualification aurait entraîné l'application d'un régime procédural plus contraignant (décision no 96-377 DC du 16 juillet 1996, considérants 7 à 9).

Au cas présent, et d'abord, il est acquis que le racolage, actif car étymologiquement il ne peut en aller autrement, fait déjà l'objet d'une répression pénale au titre d'une contravention de 5e classe prévue par l'article R. 625-8 du code pénal.

On le voit, la répression des actes de racolage actif, ceux susceptibles de provoquer la gêne des riverains et des personnes circulant dans cet environnement, est pleinement satisfaite. De ce seul point de vue, la transformation de ce fait en délit apparaît non nécessaire et l'on a du mal à comprendre ce qu'apporte, au regard de l'objectif de maintien de l'ordre public, une définition de cette nature. Sauf si cette définition constitue un moyen détourné conçu pour soumettre les personnes prostituées à des règles dont l'absence de nécessité serait trop flagrante si elles étaient évoquées comme telles. En effet, derrière cette nouvelle infraction, il y a la volonté de rendre possible le placement en garde à vue des personnes prostituées ou, lorsqu'il s'agira de personnes de nationalité étrangère, de pouvoir les éloigner du territoire national (article 75). Possibilités accentuées par l'organisation d'un fichier des personnes prostituées qui ne dit pas son nom.

Cette infraction absolument pas nécessaire du point de vue de l'ordre public révèle un véritable détournement de procédure contraire à l'article 8 de la Déclaration de 1789.

D'autant moins, encore une fois, que certaines préoccupations de tranquillité publique peuvent trouver une solution dans des arrêtés de police administrative permettant la protection des riverains ou des enfants, à la condition de disposer pour un temps limité et en visant des zones bien déterminées. Dans le cas de circonstances exceptionnelles liées à une période de guerre, le juge administratif a admis une décision préfectorale limitant l'exercice de la prostitution, dans un port militaire, tout en ayant pris soin de consacrer la liberté individuelle des femmes concernées (CE 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. 208 ; voir dans le même sens : Cass. Crim. 9 mai 1961, Bull. crim. no 242).

Mais instituer de manière détournée la prostitution en délit ne peut être admissible, sauf à faire primer la relégation sociale sur l'aide aux victimes et la liberté individuelle.

Ensuite, il importe de relever que les personnes prostituées aux mains des réseaux de traite des êtres humains ou sous le joug d'un proxénète sont, avant tout et à l'exclusion de toute autre qualification, des victimes. Quand il s'avère que des femmes ou des hommes se livrent à la prostitution hors de toute contrainte, on est alors en présence de personnes pratiquant, en l'état de notre droit, une activité non prohibée.

Il est donc pour le moins choquant de criminaliser des victimes ou des personnes se livrant à une activité libre.

Les auteurs de la saisine soutiennent, pour avoir engagé au plan national et international des actions en ce sens, la répression inflexible des activités de traite des êtres humains, une des formes actuelles de l'esclavage. Le chapitre V bis de la présente loi va dans cette direction.

C'est pourquoi il est constitutionnellement inacceptable que les victimes de la barbarie soient, parallèlement à la poursuite de ceux qui les exploitent, l'objet, à leur tour, d'une répression qui, pour être heureusement moins lourde, les institue en délinquants. La figure de la victime-délinquante ne peut passer les rigueurs de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

D'autant moins, enfin, que le fait de ranger parmi les délits le racolage aboutit à appliquer des dispositions de procédure pénale auxquelles les personnes prostituées échappaient jusqu'alors.

Ainsi qu'on l'a déjà relevé, les articles 11, 12 et 13 de la loi relatifs à la fouille et la visite des véhicules pour les crimes et les délits ouvrent le champ au contrôle permanent de l'activité de prostitution. En outre, l'article 21 de la loi, en ce qu'il organise les fichiers comprenant tout type de délits, permettra ainsi de ficher les personnes prostituées. Si ce fichier permet de retenir des informations nominatives sur les victimes, ce qui pourrait valoir pour les personnes prisonnières de réseaux, il ne saurait être justifié qu'il rende possible la constitution d'un fichier relatif aux personnes se livrant librement à la prostitution.


Ce régime plus contraignant que celui actuellement en vigueur place les victimes et les personnes se livrant sans contrainte à la prostitution en situation de grand danger. Car non seulement cette mesure n'est pas strictement nécessaire au regard des impératifs de l'ordre public, mais, bien au contraire, elle aura pour conséquence de conduire à la clandestinité une part majeure de la prostitution sous toutes ses formes. L'ordre public n'y gagnera rien, sinon la tranquillité des consciences débarrassées de visions souvent pénibles. En revanche, la dignité humaine y perdra malheureusement. On y reviendra, mais avant il importe de montrer que l'absence de nécessité est aggravée par une méconnaissance évidente du principe de légalité des délits et des peines.

VIII-2. En ce qui concerne le principe de légalité des délits et des peines :

Nul n'ignore la force de ce principe que vous avez appliqué à de nombreuses reprises en prenant soin d'invalider les dispositions qui ne fixent pas « les éléments constitutifs d'une infraction en des termes clairs et précis » (voir par exemple décision no 84-183 DC du 18 janvier 1985, considérant 12).

L'unanimité se fait pour considérer qu'au cas présent la définition retenue pour le racolage délictueux est floue et imprécise. Les mots « y compris par une attitude même passive » ne peuvent que conduire à la censure.

Il est acquis que l'ancien code pénal réprimait le racolage dit passif et que le nouveau a supprimé cette contravention au motif qu'elle ne répondait pas aux exigences du principe de légalité. Ainsi, la circulaire du 18 janvier 1994 précise que « la contravention de racolage passif, aujourd'hui prévue par l'article R. 34 (13°), n'a pas été conservée en raison de l'imprécision de ses éléments constitutifs ».

Cette appréciation conserve toute sa force tant, au demeurant, l'ensemble des dictionnaires de la langue française ne retiennent du racolage qu'une définition incluant une attitude nécessairement active.

La jurisprudence a pris soin de rappeler que la seule attitude de nature à provoquer la débauche n'est pas suffisante pour caractériser l'infraction (T. Police de Paris, 2e chambre, 23 janvier 1997, Bull. inf. Cass. 1997, no 726). Il serait vain de prétendre que la loi nouvelle réglera cette difficulté de qualification. Ce qui ressort de la jurisprudence, y compris celle relative à l'ancien code pénal, c'est bien la difficulté d'apprécier, sans risque d'arbitraire, une attitude passive pour la transformer en acte d'invitation à la débauche. Les juridictions judiciaires ont renoncé à cet exercice juridiquement périlleux du point de vue des libertés et de l'interprétation stricte de la loi pénale. Il serait dangereux, a fortiori, pour les libertés de laisser une telle appréciation « d'attitudes même passives » à la seule appréciation des forces de police, sachant que les fouilles et visites de véhicules sur la voie publique ou en tout lieu accessible au public leur donnera une latitude de contrôle très élargie.

VIII-3. En ce qui concerne l'atteinte portée à la dignité humaine et la liberté individuelle :

Dans votre grande décision du 27 juillet 1994, vous avez reconnu, en application du préambule de la Constitution de 1946, la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation (décision no 343-344 DC du 27 juillet 1994, considérant 2) et vous avez fait application de ce principe à propos du droit au logement (décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995).

Au cas présent, le délit défini dans les conditions déjà critiquées aboutit à porter atteinte à ce principe si essentiel. Certes, les auteurs de la saisine mesurent les conséquences du moyen développé à cet instant. Ils le font en conscience et entendent faire valoir, cependant, que les conséquences des mesures critiquées connues de tous au moment de l'adoption de la loi en cause seront tragiques pour nombre des personnes contraintes de se prostituer au travers d'un réseau criminel ou sous la force d'un proxénète, et même pour celles libres de leur choix. C'est le degré d'humanité de notre société qu'il convient d'apprécier plus que le confort des apparences.

Ainsi qu'il a été montré précédemment, de nombreuses personnes prostituées sont les victimes d'esclavage, ainsi que la loi le reconnaît par ailleurs. Par principe, il paraît inconstitutionnel de qualifier de délinquants, au surplus par l'application d'un texte pénal imprécis, des victimes.

Plus gravement, et au-delà de ce paradoxe de principe, il est certain que le premier effet de ces dispositions dont le Gouvernement nous dit qu'elles permettront de lutter contre les réseaux de proxénétisme sera de conduire dans la clandestinité de nombreux prostitués. Cette clandestinité, il faut malheureusement le dire ici, autorise des traitements inhumains et dégradants encore plus inacceptables. L'hygiène est inexistante, les possibilités d'entrer en contact avec des associations d'aide et, dans certains cas, avec la police, sont réduites à presque rien, pour ne pas dire à néant. L'abattage est promis à ces femmes et ces hommes.


Il ne faut pas ignorer que, pour les réseaux de criminalité, les procédures de fouille et de visite des véhicules, les gardes à vue que permettra la qualification délictuelle du racolage, le fichage qui résultera de cette nouvelle incrimination rendront suspectes de nombreuses victimes et les obligera, plus qu'à céder du terrain à l'ordre public, à organiser une prostitution cachée.

L'opposition résolue de l'ensemble des associations de défense et d'aide aux prostituées à cette série de dispositions, manifestée par de nombreux courriers adressés au ministre de l'intérieur, puise à la source de leurs combats quotidiens. En rejetant vers la marginalité, y compris les prostitués libres, des femmes et des hommes, ce sont plus de vingt années de travail pour la santé publique, l'accès au soin, la prévention et la réinsertion qui seront mis à bas.

Sur le terrain de la protection de la liberté individuelle qui rejoint ici la dignité humaine, il faut relever une nouvelle fois que l'application coordonnée de plusieurs dispositions de la loi aboutiront, en particulier, à permettre le fichage des personnes se livrant à la prostitution alors même qu'il s'agit d'une activité non prohibée.

Il n'est pas indifférent de rappeler que la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949, et ratifiée par la France le 19 novembre 1960, prévoit en son article 6 l'abolition de toute disposition ou pratique administrative selon lesquelles les personnes se livrant à la prostitution, ou sont soupçonnées de s'y livrer, doivent se faire inscrire sur des registres spéciaux ou se conformer à des conditions de surveillance ou de déclaration.

On a vu que l'ordre public ne gagnerait rien à la définition de cette nouvelle infraction. Il est donc constitutionnellement insupportable que seule la dignité humaine soit la perdante de cette nouvelle mesure.

Pour toutes ces raisons, au moins, la censure de cet article 50 est encourue pour les parties critiquées.


IX. - Sur l'article 51 de la loi


Cet article , pour le moins étonnant, définit un nouveau délit consistant à vendre, louer ou tenir à la disposition, de quelque manière que ce soit, d'une ou plusieurs personnes des véhicules de toute nature en sachant qu'elles s'y livreront à la prostitution.

Une telle disposition méconnaît, à son tour, la liberté individuelle et le principe de dignité humaine, et en tout état de cause le principe de nécessité des peines.

L'article critiqué peut aboutir, ni plus ni moins, à interdire à des personnes qui se prostituent d'acquérir un véhicule, dès lors que leurs activités sont apparentes ou connues du vendeur. Sauf à considérer qu'elles sont juridiquement inférieures, on ne voit pas pourquoi elles pourraient être privées du droit d'acheter un tel bien de consommation. Le grotesque de cette disposition n'a d'égal que le mépris qu'il laisse transparaître à l'encontre de ces personnes.

Le fait que ces véhicules puissent servir à la prostitution n'ajoute rien. Non seulement une voiture peut avoir un usage mixte, comme les règles d'amortissement fiscaux le prouvent abondamment, mais surtout notre législation n'interdit pas la prostitution, pas plus dans un véhicule qu'ailleurs. Sans doute ce véhicule peut-il se trouver sur la voie publique, mais les infractions éventuellement constatées peuvent alors être appréhendées sous l'angle de l'exhibitionnisme. Au demeurant, le véhicule peut également se trouver à l'abri des regards de tiers et pourquoi pas dans un garage fermé et non accessible au public.

Pour le reste, la répression du proxénétisme permet déjà de réprimer les transports amoureux et, par exemple, la Cour de cassation a retenu dans les liens de la prévention de proxénétisme le fait pour une prostituée d'accueillir dans sa voiture une autre prostituée, dont la voiture était en panne, afin qu'elle se livre à la prostitution (Crim. 12 octobre 1992, Droit pénal 1995, comm. 38).

Le maintien de l'ordre public est donc déjà pleinement assuré de ce point de vue. La nouvelle infraction n'est pas nécessaire et porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle, isolant socialement encore plus les personnes se livrant à la prostitution.

A tout prendre, il faut également considérer que la liberté d'entreprendre est méconnue. La prostitution n'étant pas prohibée en france, l'interdiction de vendre un bien de consommation à une personne, alors même que l'on sait qu'elle va l'utiliser pour se prostituer, ne peut être justifiée par aucun autre principe de valeur constitutionnelle. Il serait pour le moins paradoxal de prétendre que le concessionnaire automobile en cause a tiré profit des revenus de la prostitution. Car, à ce tarif-là, l'épicier, l'établissement public fournisseur d'électricité et de gaz, l'opérateur de télécommunications assurant le service universel du téléphone et tous autres prestataires de services ou fournisseurs de biens sont susceptibles d'encourir la même critique.

La relégation sociale des personnes se livrant à la prostitution serait au bout du chemin d'un tel raisonnement.

En l'absence de nécessité pour l'ordre public, cet article , qui porte une atteinte ni nécessaire ni proportionnée aux droits et libertés des personnes se prostituant, doit être censuré.


X. - Sur l'article 53 de la loi


Cet article insère dans le code pénal les articles 322-4-1 et 322-15-1 pour réprimer le fait de s'installer en réunion en vue d'y établir son habitation, même de façon temporaire, soit sur un terrain appartenant à une commune qui s'est conformée aux règles sur l'accueil des gens du voyage, soit appartenant à tout autre propriétaire. La sanction peut atteindre jusqu'à six mois d'emprisonnement et 3 750 EUR d'amende.

Les principes de nécessité des délits et des peines ainsi que celui de la responsabilité pénale personnelle sont méconnus.

X-1. Si, selon une formule classique, vous ne substituez pas votre appréciation à celle du législateur, vous censurez les dispositions législatives manifestement contraires au principe de l'article 8 de la Déclaration de 1789 (décision no 86-215 DC du 3 septembre 1989).

En l'occurrence, le fait de prévoir comme peine complémentaire la suspension du permis de conduire apparaît clairement disproportionné. Le problème étant l'occupation d'un terrain, il apparaît que la suspension du droit de conduire, au surplus pour une durée longue de trois ans, est sans lien avec l'infraction.

Par ailleurs, et plus gravement, la possibilité de saisir les véhicules automobiles paraît excessive, d'autant plus que pour les gens du voyage cela aboutira à les priver, de facto, de leur domicile. Certes, le texte excepte de cette saisie le véhicule destiné à l'habitation comme une caravane. Il demeure que la caravane sans la voiture qui la tracte est de peu d'utilité. La loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 a défini l'habitat traditionnel des gens du voyage comme des « résidences mobiles ». C'est dire que la confiscation de la partie assurant la traction de la caravane porte atteinte, par force, à l'ensemble de l'habitation des personnes concernées.

Dès lors, et à cet égard, il convient de mesurer le danger qu'il y a pour le droit au logement, le droit de propriété et la liberté d'aller et venir. Si des conciliations peuvent être opérées entre certains droits et libertés, c'est à la condition de ne pas apporter d'atteinte excessive à certains d'entre eux.

Or, on doit redouter une telle disproportion au cas présent.

Cette confiscation est donc excessive et non nécessaire dès lors qu'une peine principale a été prononcée.

X-2. En outre, le fait de prévoir la sanction de toute personne installée sur le terrain en cause et la confiscation des véhicules concernés porte une atteinte disproportionnée au principe de la responsabilité pénale personnelle (décision no 99-411 DC du 16 juin 1999).

Si tel ou tel a décidé de l'installation sur un terrain légalement inaccessible, la sanction pénale éventuellement prononcée ne peut porter que sur sa personne. Il en va de même pour la confiscation des véhicules. Le fait que l'infraction soit commise en réunion n'ajoute rien dès lors que toutes les personnes ne connaissaient pas nécessairement la nature exacte du terrain en cause ou bien n'ont fait qu'obéir à une personne ayant autorité sur elles.

Dès lors, manque, dans ces conditions, l'élément intentionnel de l'infraction.

X-3. En tout état de cause, le niveau des peines ainsi édictées, qu'il s'agisse de la peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à six mois et 3 750 EUR d'amende ou des peines complémentaires dont la confiscation du véhicule, est notoirement excessif.

La censure est également encourue de ce chef.

X-4. De façon générale, les dispositions critiquées portent atteinte aux principes d'égalité, d'équité et de proportionnalité qui structurent votre jurisprudence.

En effet, les sanctions pénales mises en place par l'article 19 seront applicables sur certaines parties du territoire national et ne le seront pas sur d'autres.

En outre, l'application de la sanction ne dépendra pas de la nature de la faute commise, ni même de l'attitude de la personne incriminée, mais du comportement d'autrui, en l'occurrence les communes, selon qu'elles se seront ou non conformées aux obligations prévues par la loi du 5 juillet 2000.

Enfin, on observera que la personne en cause ne saura qu'a posteriori si ces actes tombent ou non sous le coup de la loi pénale, dans la mesure où elle peut ignorer, lors de son installation sur le terrain, la nature dudit terrain ainsi que la situation de la commune au regard du schéma départemental.

De ces chefs, la censure est encourue.


XI. - Sur les articles 64 et 65 de la loi


L'article 64 via le 2° de l'article 225-12-5 nouveau du code pénal réprime, d'une part, le fait de partager les bénéfices de la mendicité, quand, d'autre part, l'article 65 introduit un nouvel article 312-12-1 dans le code pénal aux fins de réprimer le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien. Cette infraction est punie de six mois d'emprisonnement et de 3 750 EUR d'amende.

Ces deux dispositions sont contraires à l'article 8 de la Déclaration de 1789 prise dans son ensemble.

XI-1. En ce qui concerne l'article 64 réprimant « le partage des bénéfices de la mendicité », force est d'admettre que le fait pour des personnes en situation de détresse extrême les conduisant à quêter sur la voie publique et à dépendre de l'aumône publique pour vivre ne saurait constituer une atteinte à l'ordre public.


Constituer cette circonstance en délit, ce qui conduira à ficher lesdites personnes au terme de l'article 21 de la loi avec les risques de consultation élargie permise par l'article 25 de ce texte, est manifestement disproportionné au regard de l'objectif de maintien de l'ordre public. Deux vieux amis en détresse, un couple à l'abandon, autant de situations dans lesquelles des personnes peuvent effectivement partager le résultat de leurs actes de mendicité sans que cela menace la tranquilité ou la sûreté publique.

En tout état de cause, si ce n'est pas ce type de situation que le législateur a entendu viser, on doit en inférer le caractère imprécis contraire au principe de légalité des délits.

Car cette situation n'a rien à voir avec l'exploitation de la mendicité et le fait d'en tirer profit que le reste de l'article réprime.

Quant à la peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 EUR d'amende, elle est tout simplement sans commune mesure avec les faits reprochés.

XI-2. En ce qui concerne l'article 65, la même critique générale mérite d'être portée et ce d'autant plus que les faits en cause sont punissables au titre d'autres infractions déjà existantes. Or, ainsi qu'on l'a vu, vous censurez les dispositions non nécessaires dès lors que les faits visés peuvent être poursuivis par ailleurs, et avec plus de rigueur du point de vue du droit pénal (décision du 16 juillet 1996, précitée).

En l'espèce, l'extorsion de fonds, c'est-à-dire le fait d'obtenir par la violence, menace de violences ou contrainte, la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque est punie au titre de l'article 312-1 du code pénal. La sanction peut atteindre sept ans d'emprisonnement.

L'article R. 623-3 du code pénal réprime, pour sa part, le fait, par le gardien d'un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes, d'exciter ou de ne pas retenir cet animal lorsqu'il attaque ou poursuit un passant. Il s'agit alors d'une contravention de 3e classe.

On le voit, les différentes hypothèses retenues par l'article 65 font déjà l'objet de dispositions d'ordre pénal adaptées et proportionnées aux atteintes à l'ordre public concernées.

Il s'ensuit une double interrogation. On ne comprend pas pourquoi, du point de vue de la répression, il est nécessaire, d'une part, de punir par une peine moins lourde ce qui constitue habituellement une extorsion de fonds et, d'autre part, pour quelle raison le fait de laisser divaguer un animal dangereux doit devenir un délit complexe exigeant la preuve d'autres éléments constitutifs.

Il en résulte une double atteinte aux normes constitutionnelles : d'abord, cette définition surabondante introduit un risque d'incertitude et donc d'arbitraire dans les qualifications pénales adéquates et, ensuite, la garantie pour l'ordre public s'en trouve affaiblie.

Pour prendre un tel risque constitutionnel, il faut donc qu'existe une autre motivation difficilement avouable. En réalité, il ressort des débats parlementaires, qu'à l'instar du régime répressif inventé au détriment des personnes qui se prostituent, on entend rendre possible le placement en garde à vue de personnes se livrant à la mendicité ou bien leur éloignement du territoire national au motif qu'elles se seront rendu coupables d'un délit conceptualisé pour cette seule occasion.

Cette définition d'une infraction absolument pas nécessaire du point de vue de l'ordre public sert pour un véritable détournement de procédure qu'il importe d'invalider. Elle aboutira à une véritable relégation sociale de personnes dans la misère. Ce n'est pas possible.

Dans ces conditions, enfin, la sanction prévue apparaît également disproportionnée. Soit, il s'agit d'une extorsion de fonds et elle est trop faible, soit il s'agit d'une mendicité hyperactive et elle est trop lourde. Une personne en situation de dénuement matériel peut-elle s'acquitter de la somme de 3 750 EUR sans sombrer définitivement dans la marginalité pour échapper à sa dette ou, au contraire, pour récolter l'argent utile ? On en doute.

Cet article 65 est donc sans nécessité, à ce double titre.


XII. - Sur l'article 75 de la loi


L'article 75 autorise le retrait du visa ou de la carte de séjour temporaire de l'étranger soupçonné d'avoir commis certains faits.

Son caractère très imprécis fait peser sur les libertés individuelles une menace très sérieuse et son application peut conduire à un arbitraire incompatible avec les principes et normes constitutionnels de notre pays.

Il suffit, pour s'en convaincre, de souligner que cette possibilité de retrait du titre de séjour pourra être mise en oeuvre dès que l'étranger en cause sera « passible » de certaines poursuites pénales : aucune condamnation n'est donc requise et la mesure pourra être décidée en dehors de toute intervention de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles...

Un simple soupçon, dont la réalité sera laissée à l'appréciation d'un officier de police judiciaire, permettra de prononcer à l'encontre d'une personne une décision aussi lourde de conséquences que le retrait d'un titre de séjour.

Ce risque d'arbitraire est d'autant plus condamnable que le champ des poursuites pénales auquel il est fait référence est très large.

En effet, au-delà de la référence usuelle à la simple « menace pour l'ordre public », sont également visés des actes aussi divers que le racolage actif ou passif (cette activité étant évidemment au coeur du dispositif, qui a été largement conçu pour remettre en cause le droit au séjour de tout étranger dont on peut penser - à tort ou à raison - qu'il se livre à cette activité sur notre sol), ainsi que certaines formes de vol ou de mendicité.

Ainsi, le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789 est délibérément ignoré.

Les droits de la défense qui impliquent l'existence d'une procédure juste et équitable (décision du 28 juillet 1989 précitée) le sont tout autant.

L'atteinte portée aux libertés individuelles, et notamment au respect de la vie privée, voire familiale, et au droit d'aller et venir (dont les étrangers peuvent également se prévaloir, comme vous l'avez affirmé dans votre décision no 97-389 DC du 22 avril 1997), est disproportionnée au regard des motifs d'ordre public invoqués.

L'article ainsi critiqué encourt la censure.


XIII. - Sur l'article 96 de la loi


Cet article rend possibles des fouilles et palpations par des personnes physiques spécialement habilitées à cet effet, au titre d'un arrêté préfectoral ayant constaté des circonstances particulières liées à des menaces graves pour la sécurité publique. Le procureur de la République reçoit seulement communication de cet arrêté, son intervention pour garantir les libertés individuelles n'étant pas prévue.

La violation des articles 34 et 66 de la Constitution est patente.

Une telle disposition s'inscrit dans le fil de la disposition de la loi du 25 janvier 1995 que vous avez censurée au double motif, d'une part, de la définition floue et imprécise des termes de la loi et, d'autre part, de l'intervention de l'autorité judiciaire prévue seulement a posteriori (décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995, précitée).

En l'espèce, cette jurisprudence ne peut qu'être appliquée dès lors que les personnels en cause, même habilités par le préfet, ne sont pas des officiers de police judiciaire ni davantage des agents de police judiciaire, que les circonstances de leur intervention répondent à des critères incertains, et que l'autorité judiciaire est seulement destinataire de l'arrêté préfectoral, sans délai prescrit pour ce faire, et ne peut intervenir pour contrôler lesdites fouilles et palpations.

La censure est inévitable.


XIV. - Sur l'article 113 de la loi


La disposition critiquée, introduite par voie d'amendement lors de la lecture du texte par l'Assemblée nationale, punit le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore.

La sanction de 7 500 EUR d'amende est complétée par une peine de six mois d'emprisonnement si l'infraction est commise en réunion.

Les auteurs de la saisine partagent le sentiment de tous lorsque l'hymne national est sifflé dans l'enceinte d'un stade à l'occasion d'une rencontre sportive. Que tout le monde regrette une manifestation excessive, voire le symptôme d'un malaise, ne saurait cependant justifier une atteinte aussi grave à la liberté d'expression, de conscience et d'opinion, et donc à la liberté individuelle. A titre subsidiaire, il faudra relever l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines et au principe de nécessité des sanctions.

XIV-1. En ce qui concerne les articles 1er, 10 et 11 de la Déclaration de 1789 :

L'article en cause appelle à une réponse de principe tant est menacée non seulement la liberté individuelle mais tout également la liberté d'expression et de communication de ses opinions, et donc la liberté de conscience. La restriction apportée en commission mixte paritaire quant au champ de l'infraction n'enlève rien à l'inconstitutionnalité.

(i) Vous avez fait application à plusieurs reprises de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et considéré que la libre communication des pensées et des opinions est « une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés », et, en conséquence, invalidé plusieurs dispositions à cet égard en jugeant, notamment, que « cette liberté implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés pour l'expression de sa pensée » (décision no 94-345 DC du 29 juillet 1994 relative à l'emploi de langue française, considérant 5). Cette décision est d'autant plus intéressante que la langue française est consacrée par l'article 2 de la Constitution. Qu'il en va de même pour l'hymne national, La Marseillaise, et pour le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.

Par un hymne et un drapeau, héritages de notre histoire mouvementée, ainsi inscrits dans le corps même de la Constitution, ce sont les valeurs de la République qui sont symbolisées. Or, ces valeurs sont précisément celles de la tolérance et de la liberté de conscience et d'expression de cette conscience.

On doit considérer que le droit d'outrager l'hymne et le drapeau trouve sa légitimité dans ces symboles-là et les renforce même. En protégeant le droit de les outrager, on protège ces symboles ! D'une certaine manière, cet outrage, aussi choquant puisse-t-il paraître à certains, est le signe que les fondements de la République demeurent permanents. C'est par l'exemplarité de la tolérance des institutions démocratiques que le respect de ses symboles se forge au travers des générations.

Dans le cadre du premier amendement de la Constitution protégeant la liberté d'expression, la Cour suprême des Etats-Unis en a jugé, d'une certaine manière, ainsi. Alors que plusieurs incendies volontaires et publics du drapeau américain, pendant les manifestations liées à la guerre du Vietnam, avaient beaucoup choqué, la cour suprême du Texas avait déjà reconnu le droit de le brûler (cour suprême du Texas, Texas v. Johnson).

Récemment, une loi fédérale de 1989, Federal Flag Protection Act, avait été adoptée par le Congrès pour protéger le drapeau. La Cour suprême des Etats-Unis a privilégié la liberté d'expression et considéré cette nouvelle loi comme inconstitutionnelle en vertu du Premier amendement, le fait de brûler le drapeau étant alors regardé comme une « expression symbolique » digne de protection (Cour suprême des Etats-Unis, EU v. Eichman, 1990). Ainsi, le fait que la société trouve désagréable ou offensant une idée ou son expression ne doit pas conduire à la prohiber. Un tel raisonnement tenu au coeur d'une nation dont on mesure la valeur de l'attachement patriotique aux symboles du pays mérite d'être remarqué.

C'est une idée proche qu'à exprimée, sur notre vieux continent, la Cour européenne des droits de l'homme en considérant que la liberté d'expression, protégée par l'article 10 de la Convention, « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction de la population » (CEDH, 7 décembre 1976, Handyside, § 49).

Il est vrai qu'en revanche le Turkménistan réprime durement l'outrage au drapeau et à l'hymne national. Mais on sait que ce pays compte parmi les dictatures les plus féroces du moment.

En application de votre jurisprudence sur la liberté d'expression et en écho aux jurisprudences libérales des cours évoquées, la censure paraît inévitable. Elle est d'autant plus inévitable que, si un test de proportionnalité était effectué, on devrait constater que nulle atteinte à l'ordre public en tant que telle n'est visée dans l'hypothèse retenue par le législateur. C'est donc l'expression en elle-même d'une opinion choquante qui constitue l'atteinte à l'ordre public. Ce n'est tout simplement constitutionnellement pas possible.

ii) Le fait que seuls les outrages commis au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par l'autorité publique sont punis ne change rien au raisonnement.

D'abord, la question est de principe et le droit d'outrager les symboles inscrits à l'article 2 de la Constitution, aussi choquant que cela puisse être ressenti par les uns et les autres au travers de sensibilités diverses et à des degrés variés, doit être absolu dès lors qu'il s'agit d'une idée ou d'une opinion.

Peut-être la protection pourrait-elle s'avérer moindre s'il s'agissait d'une communication commerciale ou publicitaire. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce.

Ensuite, force est d'admettre que la réserve ainsi établie est en trompe-l'oeil.

Les hypothèses de manifestation, organisées ou réglementées par l'autorité publique, sont nombreuses et embrassent tant les manifestations sportives que les manifestations sur la voie publique, soumises au décret-loi du 23 octobre 1935 et pour partie à la loi du 25 janvier 1995, les réunions publiques tenues dans un lieu relevant d'une autorité publique, comme dans une école. Les exemples peuvent être multipliés et la restriction apparemment apportée par la commission mixte paritaire laisse un vaste champ pour l'atteinte à la liberté d'expression.

De tous ces chefs, l'invalidation s'impose.

XIV-2. - En ce qui concerne le principe de légalité des délits et des peines :

La notion d'outrage public à l'hymne national et au drapeau laisse perplexe. Dès que connue cette nouvelle infraction, les exemples et souvenirs ont fleuri. La création intellectuelle, dans le cinéma, la littérature, la chanson, les arts plastiques, épouse les formes et les expressions les plus variées et nombreuses. L'inventivité humaine va même jusqu'à faire siffler les hymnes nationaux par les supporters de l'équipe adverse.

Autant on peut comprendre ce qu'est l'outrage à une personne investie ou non d'une mission de service public comme le prévoit avec précision l'article 433-5 du code pénal. Mais, pour un objet symbolique porteur d'histoire, il est difficile de savoir ce qui constitue l'outrage.

Des citoyens sifflant La Marseillaise chantée par les partisans d'un parti d'extrême droite outragent-ils l'hymne national ou bien ceux qui prétendent l'annexer ?

Des supporters d'une équipe de sport collectif qui sifflent au moment des hymnes nationaux de l'équipe adverse outragent-ils l'hymne et le drapeau ? La question n'est pas théorique puisqu'en application de l'article 113-2 du code pénal la territorialité de la loi pénale permettrait de poursuivre un supporter étranger ayant sifflé l'hymne français. Commis dans un stade, cela constituerait un outrage en réunion puni de six mois de prison.

En matière de création artistique, le souvenir de la modification du rythme de notre hymne national sous l'autorité d'un ancien Président de la République est venu à la mémoire de beaucoup. La version singulière de La Marseillaise imaginée par l'artiste Serge Gainsbourg pour être représentée publiquement est revenue à l'esprit de tous. Si la version créée par ce chanteur appartient aujourd'hui au patrimoine culturel de notre pays, on doit se rappeler l'aversion qu'elle a pu provoquer en d'autres temps. La répression de l'artiste, comme de ceux reprenant publiquement sa version originale, aurait été certainement à l'ordre du jour. Tout comme pour le chanteur populaire Renaud, dont une chanson de 1980 dit : « J'peux pas encaisser les drapeaux,/Quoi qu'le noir soit le plus beau./La Marseillaise, même en reggae/ça m'a toujours fait dégueuler. »

On le voit, une telle définition aussi large et imprécise ne peut être admise sans violer le principe de légalité des délits et des peines, au risque de soumettre la liberté de création artistique à la répression arbitraire variable selon les époques et la sensibilité du moment.


De ce chef, en tout état de cause, la censure est certaine.

XIV-3. En ce qui concerne la nécessité des peines telle que garantie par l'article 8 de la Déclaration de 1789 et le principe de responsabilité pénale personnelle :

A titre infiniment subsidiaire, on est obligé de relever que l'amende de 7 500 EUR, voire la peine de six mois d'emprisonnement, sont évidemment disproportionnées. Dès lors qu'est en cause une liberté publique, les sanctions non nécessaires méritent l'invalidation. Il en va particulièrement lorsqu'il s'agit de l'article 11 de la Déclaration de 1789 (décision no 87-237 DC du 30 décembre 1987).

En l'espèce, sans qu'il soit besoin d'insister, les peines sont disproportionnées tant la liberté en cause est essentielle, la définition de l'infraction floue et imprécise. On ajoutera que dans le cas de la commission en réunion, punie de six mois d'emprisonnement, il est particulièrement délicat d'être certain que les forces de l'ordre auront appréhendé l'individu ayant, par exemple et à supposer que l'outrage signifie cela, sifflé l'hymne ou le drapeau. Parti avec 80 000 autres au stade, il se retrouverait bien seul au poste de police...

Cette difficulté d'être certain que celui arrêté est bien celui qui a outragé le symbole pose, in fine, le principe de la violation de la responsabilité pénale personnelle.

De tous ces chefs, l'article critiqué encourt la censure.


XV. - Sur les articles 122 et 123 de la loi


Les dispositions reprochées proposent une adaptation de dispositions applicables en métropole déjà critiquées et encourent en conséquence les mêmes griefs que ceux exposés ci-dessus.

C'est le cas notamment des articles 122 et 123 qui appellent les mêmes réserves que l'article 3.


XVI. - Sur les articles 141 et 142 de la loi


Les dispositions reprochées, introduites par voie d'amendement lors de la lecture du texte par l'Assemblée nationale, pérennisent en Guyane et dans la commune de Saint-Martin en Guadeloupe des dispositions prévues à titre temporaire par la loi no 98-349 du 11 mai 1998 modifiant l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France.

Certes, on doit considérer que les pouvoirs de la police administrative s'exercent dans des conditions qui doivent tenir compte des situations exceptionnelles mais qu'il n'en demeure pas moins que l'adaptation du droit ne saurait faire disparaître pour autant des droits et garanties constitutionnellement protégés tels que les droits de la défense.

Dans la mesure où ces droits et garanties ne sont pas assurés en Guyane et à Saint-Martin, les articles critiqués encourent la censure.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir décision no 2003-467 DC.)